"Nous sommes le 6 février 2004, en grand maître des cérémonies Marc
Blondel vient de terminer son discours par une phrase étonnante
puisqu’elle finit sur …lui-même : « Merci… Sans vous, il n’y aurait
jamais eu Blondel. » Devant lui, quelque 3000 personnes se lèvent et
comprennent que, dans ses mots, à travers son propre nom, Blondel vient
de rend hommage à tout un collectif. Puis, rideau : Marc quitte alors
son large manteau de Général.
Il ne prendra plus jamais la parole en tant que tel.
Depuis son décès dimanche 16 mars, les hommages se succèdent. Dans
l’organisation tout le monde pleure l’ami, le camarade. Même ses
adversaires les plus tenaces ont reconnu la place immense qu’aura tenue
dans le mouvement ouvrier ce natif « par accident » de Courbevoie mais
dont l’esprit vagabondait toujours vers Hénin-Beaumont comme porté par
la poussière noire du charbon de son pays de mines dont il parlait si
souvent, évoquant sa grand-mère Blanche qui « essorait tellement les
draps qu’ils étaient secs avant de les étendre et qui voulait surtout
pas que je sois galibot* ». Car pour bien comprendre Blondel, il faut
prendre la mesure de son enracinement dans la culture ouvrière et
socialiste familiale. C’est ce qu’il expliquait il y a une dizaine
d’année au JDD venu l’interviewer avant son dernier congrès : « Mon
atavisme, c’est de croire à l’action collective pour permettre de
libérer l’individu. C’est pour ça que je hais le dogme et que je n’ai
jamais été communiste. Je suis pour l’utilisation de la force collective
que représente le monde du travail mais au bénéfice de l’individu. Je
suis pour l’égalité mais pas la même pensée et le même costume pour tout
le monde. Et ça, je le dois à ma famille ». La pensée, la pensée libre,
c’était là son crédo. Et ce n’est pas un hasard s’il devint après son
départ de la Confédération, Président de la Libre Pensée où un de ses
deniers combats fut la réhabilitation des « Fusillés pour l’exemple »
pendant cette boucherie que fut la guerre de 14-18
Blondel, c’était une voix grave mais douce, paradoxale –comme lui –
jusque dans ses intonations. Il savait gueuler, ne lâchait rien sur un
plateau de télévision. Quel spectacle, quelle vie ! C’est qu’il avait
tout compris et sans média-training : il savait utiliser la forme pour
mieux faire passer le fond. A tel point que souvent les journalistes
avec qui je « bordais » une émission me demandaient : « T’es sûr qu’il
fera du Blondel ? ». Etrange question, il n’y avait pas besoin de lui
demander ! Il aimait ça, personne ne l’impressionnait tant ses
convictions étaient profondes. Et je l’ai vu en désarmer plus d’un et
plus d’une. Même pas peur !
Marc, c’était aussi cet homme aux mains si fines, si délicat, capable de
rendre muet un studio de radio qui lui avait demandé de chanter a
capella « Comme un petit papillon » de Mouloudji qu’il avait bien connu.
Un moment magique où cet homme sans aucune fausse note scotcha tout le
monde : journalistes, techniciens et moi-même qui pourtant, étant son
attaché de presse le connaissais un peu plus. Je ne lui savais pas ce
talent.
Il y aurait tant et tant à dire sur cet homme hors du commun, ce dernier
des Mohicans comme il aimait se qualifier lui-même. Il y a quelques
jours, un journaliste m’a demandé de définir Blondel en une phrase. Une
phrase ? Je n’en ai pas trouvé et puis m’est revenue une de ces
dernières nuits cette lettre écrite par Fernand Pelloutier : « …Nous
sommes en outre ce qu’ils ne sont pas : des révoltés de toutes les
heures, des hommes vraiment sans dieu, sans maître, sans patrie, les
ennemis de tout despotisme, moral ou matériel, individuel ou collectif,
c’est à dire des lois et des dictatures (y compris celle du prolétariat)
et les amants passionnés de la culture de soi-même… »
Voilà ce qui à mon sens peut définir au plus près cet homme
extra-ordinaire au sens littéral du terme que les journalistes
appelaient à tord une personnalité.
Non, Blondel n’était pas une personnalité, c’était un personnage."